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Un bel été sioniste


C'était en 1962, j'avais 17 ans et je venais de découvrir que j'étais juif, ce qui ne signifiait pas grand chose pour moi mais faisait bouillir des interrogations. Je suis parti pour Israël afin d'en avoir le cœur net. J'y ai passé deux mois et demi, vadrouillant dans le désert, explorant Jerusalem et surtout faisant de long séjours dans plusieurs Kibutzim. L'été m'a été fécond et fondateur. A mon retour, j'ai rendu compte de cette aventure à une partie de ma famille qui s'était réunie à Paris pour m'entendre raconter Israël. Il faut dire qu'on en savait peu, le tourisme était inconnu dans ce pays neuf, les nouvelles en venant étaient approximatives et le procès Eichman avait éclipsé les affaires plus banales de l'existence quotidienne de ces Israëliens si proches par la culture et l'histoire. J'ai brossé à mes oncles et tantes, cousins et cousines et à mes grands parents un compte-rendu chaleureux. J'avais cotoyé une jeunesse courageuse et fière, défendant sa terre contre des armées qui voulaient l'en chasser. J'avais irrigué des déserts fertilisés par l'intelligence et l'audace. J'avais traversé la ville libre de Tel Aviv surgie du bord de mer. J'avais entendu des gens chercher la paix avec sincérité, parlant l'Arabe aussi bien que l'Anglais, l'Hébreu ou le Français; épris d'art, de littérature et de musique. J'avais observé les bras tatoués aux chiffres bleu d'Auschwitz sur des hommes et des femmes optimistes. Je racontais avec la naïveté et l'emportement d'un adolescent, prenant parti sans réserve pour que ces gens réinventent leur existence, pour que ce pays vive. Vers la fin de cet échange, ma grand mère qui était une Juive d'Egypte, gaie, bavarde, drôle et tendre à la fois, ma grand mère d'ordinaire si prompte à s'enthousiasmer, à m'encourager et à rire avec moi, m'a adressé une questions de son accent chantant: "Dis-donc, Marco, tu as pensé aux fellahs?" Je suis resté interdit. J'ai mis quelques secondes à comprendre la question. Le mot fellah ne m'était pas inconnu, ne serait-ce que parce qu'elle l'avait souvent employé pour illustrer son existence en Egypte. Mais la question a traversé mon histoire incertaine, ma mémoire à peine éveillée, les repères confus d'un garçon de dix-sept ans qui, pour être sincère, se croyait malin. Non, je n'avais pas pensé aux fellahs. J'avais rencontré les soldats israëliens, les paysans des kibutzim, les étudiants de l'université de Jérusalem, les conquérants de la rocaille et je n'avais pas pensé aux fellahs. Ca a été ma première vraie leçon de politique et sans doute l'une des plus magistrale. Depuis, j'y pense souvent, aux fellahs. J'y pense lorsque j'entends parler de l'expulsion des paysans malgaches par les chercheurs de saphirs. J'y pense lorsque la ville nouvelle grignotte les terres arables du bassin parisien cutivées depuis des siècles. J'y pense lorsqu'une multinationale met la main sur la terre de paysans indiens ne leur laissant en héritage qu'une mort sociale totale. J'y pense lorsque la radio me rappelle jour après jour que la coloniation continue en Israël et jette, encore aujourd'hui, hors de leur terre, des familles palestinennes. Je suis anti- sioniste depuis près de soixante ans. Je ne suis pas du tout anti-israëlien car je suis attaché à ce que vivent les citoyens de ce pays sur une terre qui est aussi devenue la leur. Je déteste les enragés intégristes qui veulent renvoyer les Israëliens à la mer. Mais je suis hostile à la colonisation par l'Etat d'Israël de terres qui appartiennent aux fellahs car cette prédation poursuit le vieux projet sioniste qui est enlisé depuis longtemps à la lisière des écritures et des sables. S'il devient délictueux d'être antisioniste en ce sens, je voudrais être jugé car j'ai des choses à dire au juge qui m'entendra.

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Marc Hatzfeld, Sociologue des marges sociales
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